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S’adapter aux changements climatiques

10 juillet 2023



S’adapter aux changements climatiques

À Caplan, le producteur laitier Patrick Arsenault, de la Ferme Capino, a décidé de bouger dès 2015, constatant que ses rendements en fourrage et en céréales stagnaient alors qu’ils auraient dû augmenter. Il a consulté l’agronome Louis Pérusse, spécialiste de l’approche agroécologique, qui lui a donné de solides conseils.

« La cible que j’essaie d’atteindre, c’est de toujours avoir du vivant sur le sol, de protéger le sol, aborde M. Arsenault. C’est une des procédures adoptées. On ne réinvente pas l’agriculture, mais on applique une réflexion pour essayer d’avancer. Ce n’est pas une technique, c’est une partie de processus qui nous donne une cible à atteindre. Par exemple, on place les semis sous couvert végétal, pour avoir des champs toujours couverts en végétation. » C’est une façon de garder toute la matière contenue dans le sol, afin qu’elle ne soit pas érodée lors des forts vents ou des pluies intenses. En plus d’empêcher l’érosion, la présence constante de végétation sur le sol contribue à retenir l’humidité, précise-t-il. « La végétation fait un effet d’écran solaire. Il y a moins d’évaporation. Ça emmagasine l’eau quand il pleut et [le sol] en dégage pour les plantes quand c’est sec. Si on fait moins de travail de sol, si on réduit les perturbations, on a une matière organique qui devrait augmenter. »

Multiplier les variétés

Les rencontres de M. Arsenault avec Louis Pérusse l’ont incité à adopter des approches multiespèces. « Au lieu d’avoir une ou deux ou trois espèces, avec un taux de semis plus élevé, je vais mettre plus de variétés et moins de semis […], explique M. Arsenault. Ce qui arrive, quand on a juste trois plantes, c’est que la plus vigoureuse va s’imposer sur ta prairie; les autres n’auront pas de chance. Ça donne peu de variété. Moi, maintenant, je vais avoir jusqu’à 12 plantes différentes dans le même champ. Dans mon mélange de 12 plantes, je vais mettre 2 sortes de céréales, de l’herbe du Soudan, du millet japonais ou perlé, du seigle d’automne, du blé d’automne, des trèfles annuels. Il y a beaucoup de sortes, et elles sont avantageuses pour le troupeau. »

« Ce mélange va favoriser les plantes fourragères pour les autres années, poursuit-il. Dans mon mélange, il y a des plantes vivaces, bisannuelles et des annuelles. C’est là que je vois une symbiose, comme le dit Louis [Pérusse]. Il faut analyser, prendre le temps de regarder, marcher dans les champs, prendre des notes. »

Laisser une végétation en permanence sur ses champs mène aussi à une diminution de consommation d’engrais, dit-il, de même qu’à un regain plus fort de repousse au printemps, à une diminution d’utilisation des pesticides et à une croissance constante de production de fourrage, même lors des étés secs. M. Arsenault ne récolte même plus l’ensemble de ses fourrages. « Au lieu de faucher, je fais du nivelage, de la canalisation, des travaux qui aident à résister aux changements climatiques. »

Un sol plus frais et de l’ombre

À Percé, l’éleveur bovin Bertrand Anel, de la Ferme Percé Nature, réfléchit depuis des années à des façons d’éviter à ses vaches et veaux les perturbations découlant des changements climatiques.

« Il y a quelque chose de relatif quand on parle de canicule en Gaspésie, mais ça va en fonction des habitudes. Les bovins, comme les autres animaux et les humains, sont habitués à certaines conditions. On n’a pas besoin d’avoir 45 degrés. À 35 ou à 30 degrés, ça reste des journées plus chaudes que la normale. Ce n’est pas beaucoup de jours par année mais, s’ils n’ont pas d’abris, ils seront affectés », note M. Anel. Il travaille donc à faire pousser des pâturages plus longs. « Ça va être ombragé au sol et, si les animaux se couchent, ils ont accès à un sol plus frais. Idéalement ça prend aussi de l’ombre venant d’arbres; ça fait longtemps que je travaille sur l’agroforesterie, avoir l’un et l’autre, agriculture et foresterie. Avoir de l’ombre [provenant des arbres de la] forêt, c’est un gain direct, surtout pour les bovins avec une robe foncée. »

Les éleveur·euses n’ayant pas accès à une forêt peuvent s’en tirer avec des rangées d’arbres au milieu des champs, « mais il doit y en avoir suffisamment pour que les animaux ne restent pas autour des trois mêmes arbres. Ils compacteront le sol et les racines des arbres suffoqueront. Il y a une réflexion à faire », assure M. Anel. Les forts écarts de température l’hiver inquiètent également l’éleveur, dont les animaux sont presque toujours dehors, en stabulation libre avec accès à une étable. « Les changements de régime, une journée de pluie n’importe quand, suivie de trois jours de vent bien froid, c’est inquiétant aussi. Les animaux redoutent l’humidité et les courants d’air, surtout les jeunes. Ils doivent pouvoir se mettre à l’abri. Avec un froid sec et constant, on s’adapte avec de la paille. À -15 degrés, pas de vent, ils couchent dehors. »

La diversité favorise les arbres fruitiers

Depuis 2015, l’intérêt pour les vergers s’est répandu en Gaspésie. Une bonne quinzaine de passionné·es d’âges divers se sont lancé·es dans la production d’arbres fruitiers. C’est ainsi que l’agronome Valérie Guérin a été embauchée en 2021 par la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de la Gaspésie-Les Îles, notamment pour donner un appui aux producteur·rices. Dans ce domaine aussi, les changements climatiques se font sentir. « Je suis chargée de la stratégie phytosanitaire, c’est-à-dire mettre en place des pratiques qui visent à utiliser moins de pesticides, de les utiliser au bon moment et voir si on peut développer des produits biologiques, explique-t-elle. Ce qui se faisait avant, c’étaient des traitements systématiques, sans trop savoir qui étaient nos ennemis. [...] Dans les vergers, ce sont des ravageurs qui affectent les fleurs, comme des chenilles. Si elles mangent des fleurs, on a un problème. Il faut aussi contrôler les insectes qui pondent dans les fruits et, après, les insectes qui s’attaquent au feuillage. »

On devine qu’en contexte de changements climatiques, de nouveaux « ennemis » se pointent en raison des températures chaudes. Ces dernières ouvrent aussi de nouvelles possibilités aux propriétaires de vergers. À ce chapitre, le pépiniériste Guy Langlais, de l’entreprise Arbro-vie, de Saint-Siméon-de-Bonaventure, a entamé en 2017 un projet en deux volets qui vise à faire pousser une très grande variété d’arbres fruitiers, tout en vérifiant ceux qui s’adaptent au climat gaspésien et ceux qui n’y arrivent pas. « Dans le verger de 150 arbres, j’ai une trentaine de variétés de poiriers, 40 variétés de pommiers et 25 variétés de raisins de table », explique M. Langlais, professeur retraité de l’Institut de technologie agroalimentaire de La Pocatière. Le deuxième volet de son initiative est la propriété de sa conjointe, Olga Roy, et sa sœur, Marie-Claude Roy. Leur entreprise de multiplication d’arbres fruitiers, Arbor et Flora, en vend de 1500 à 2000 annuellement, de Gaspé à Val-d’Or.

Arbro-vie réalise des tests pour vérifier l’adaptabilité de certaines variétés d’arbres en Gaspésie, pendant qu’Arbor et Flora utilise des boutures des meilleures variétés pour multiplier les arbres et en vendre à d’autres vergers. « Il y a un risque derrière ça, mais ce risque m’intéresse, en tant que multiplicateur de plants. Avec autant de variétés, je suis conscient qu’elles ne s’adapteront pas toutes. Si on est capable d’adapter 15 vignes et 12 poiriers qui ne poussaient pas avant, je serai content », conclut M. Langlais.

PAR GILLES GAGNÉ

Journaliste pigiste au quotidien Le Soleil, il est aussi corédacteur en chef du Gaspé Spec et éditorialiste au journal Graffici, en plus d’écrire pour le journal Pêche Impact. Il se passionne pour les ressources naturelles, les transports et l’environnement, et vit à Carleton-sur-Mer.



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