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Recrutement et rétention : des entreprises bioalimentaires relèvent le défi

19 juillet 2022



Recrutement et rétention : des entreprises bioalimentaires relèvent le défi

Article rédigé par Gilles Gagné

Plusieurs entreprises du secteur bioalimentaire gaspésien ont connu, au fil de leur histoire, une croissance ayant changé complètement la donne en recrutement et rétention de personnel. À l’origine, elles dépendaient souvent du travail de membres de la famille. L’expansion les a incitées à recruter au-delà de la parenté. Trois dirigeants d’entreprise témoignent de leurs solutions créatives en matière de recrutement et de rétention.

À Carleton-sur-Mer, Dany Marquis et Marie-Hélène Fortier ont établi en 2005 la Brûlerie du Quai, un café doublé d’un torréfacteur afin, dans le second cas, de desservir un réseau de distribution. D’une demi-douzaine d’employé·es – incluant les fondateur·rices – il y a 17 ans, le personnel est passé à 40 personnes en 2022, dont de 25 à 28 à longueur d’année. L’entreprise comprend aussi, depuis 2014, la division Chaleur B Chocolat, qui fabrique du chocolat de la fève à la tablette, et commercialise des produits de l’érable gaspésiens.

Tout a changé depuis 2005 en recrutement, signale M. Marquis. « C’est le jour et la nuit comme si, dans un claquement de doigts, on avait enlevé des milliers de personnes du marché du travail, et c’est le cas partout. Je visite des chocolateries à Montréal. On parle de chocolat deux minutes et de recrutement de main-d’œuvre le reste du temps. »

À mesure que l’entreprise évoluait dans le temps, son volet manufacturier a pris son envol. Ainsi, c’est davantage la structure de l’entreprise qui a incité ses dirigeant·es à rechercher du personnel permanent plutôt que de cibler des étudiant·es l’été.

« Au cours des dernières années, au lieu de construire autour de l’offre touristique, j’ai organisé les ventes autour de la production manufacturière, avec des emplois annuels, précise M. Marquis. On a limité notre offre touristique. [Avant], on faisait des soupes, des salades, des sandwichs. [À présent], on ne sert que des cafés, des chocolats et des croissants. On a moins besoin de monde dans ce volet. On a donc simplifié l’offre et le recrutement. » De 10 à 12 postes se rajoutent l’été pour l’achalandage touristique.

Pour un recrutement fructueux, M. Marquis et son équipe de gestion offrent notamment une salle d’entraînement située à deux minutes de marche du siège social. « La majorité des employés l’utilisent. On essaie de ne pas pénaliser ceux que ça n’intéresse pas. On compense ailleurs », avec des sorties culturelles, entre autres.

Les emplois à longueur d’année diminuent le roulement inhérent aux emplois d’été. « Si on attire des employés qui viennent triper l’été en Gaspésie, c’est plus difficile de les connecter sur ce qu’on fait. On est chanceux. Les employés à temps partiel sont des étudiants du bassin local. Ils reviennent pendant leurs années d’études, et le frère ou la sœur suit. Si les jeunes sont contents, ils reviennent. Ceux de l’extérieur quittent parfois avant le temps. Parfois, pendant le recrutement, une semaine avant la date [d’entrée en fonction], on reçoit un email de l’étudiant. On se retrouve aux enchères avec la Baie Bleue, Tosca, La Mie véritable et Le Naufrageur, ça fait une drôle de situation », souligne M. Marquis, en énumérant des employeur·euses important·es de Carleton-sur-Mer.

Ferme Bourdages Tradition : procurer une occasion de se réaliser

À Saint-Siméon-de-Bonaventure, la Ferme Bourdages Tradition, qui évolue sur les mêmes terres depuis 201 ans, transforme la fraise depuis 30 ans. Elle propose aussi des plats cuisinés maison et, depuis 2006, des alcools de fraise.

L’entreprise familiale emploie une douzaine de personnes à longueur d’année et plus de 100 l’été, avec les cueilleur·euses. « On s’est adapté, au niveau du développement progressif des besoins, de la cueillette, de la transformation, des heures de travail, des compétences, des comités sociaux pour créer un esprit d’équipe, afin que les gens se sentent engagés, qu’ils développent un sentiment d’appartenance, et pour essayer de favoriser la passion au travail, affirme le président, Pierre Bourdages. Pour nous, pour mes parents, le jus de fraise coule dans nos veines. On sait qu’on ne peut pas demander la même chose [à l’équipe]. On essaie de l’animer pour que les gens se sentent unis. »

La question des salaires est incontournable dans le secteur bioalimentaire, reconnaît-il. « On ne peut pas verser des gros salaires et on ne peut donner les avantages financiers d’une entreprise publique. On essaie de développer les rêves de nos employés, leur passion, pour qu’ils soient bien dans un salaire moins grand, pour que les gens puissent se réaliser. Le secteur bioalimentaire est le parent pauvre des secteurs économiques; c’est vu comme ça par la finance, mais on nourrit la planète ! On devrait être pris en premier plan », souligne M. Bourdages.

Il est néanmoins fier d’enregistrer des victoires en recrutement. « Une ancienne infirmière s’en vient chez nous parce qu’elle veut vivre des expériences en service à la clientèle. Le désir d’avoir du bonheur au travail est une façon de satisfaire les rêves et les engagements. Il n’y a pas juste la paye. »

Pour faire grimper l’embauche à 100 personnes l’été, lors de la récolte de fraises, la Ferme Bourdages Tradition recrute 40 Mexicains. Là aussi, il y a des méthodes à instaurer pour réussir. « Les gens veulent revenir, remarque M. Bourdages. Ils sont bien accueillis, bien gérés et on leur crée un environnement intéressant. On les emmène à la pêche. Ils veulent travailler sept jours par semaine, mais moi, je dis que six jours, c’est assez. Ils nous font la cuisine pendant une soirée. On mélange les cultures. On essaie de créer un happening. C’est apprécié de tout le monde, Gaspésiens et Mexicains. »

Il s’inquiète de voir d’autres secteurs économiques mieux nantis que l’alimentation favoriser l’embauche de travailleur·euses étranger·ères. « La compétition viendra de secteurs plus lucratifs au cours des prochaines années alors que nous payons le salaire minimum. Il faudra protéger le domaine agricole, qui a vu une augmentation de plus de 35 % des salaires en cinq ans; c’est énorme pour nous. Il y a une limite aux prix qu’on peut charger. Il y aura différentes choses à regarder, comme la robotisation. »

Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan : faciliter le recrutement par une saison d’activités étendue

À Sainte-Thérèse-de-Gaspé, Roch Lelièvre, président de l’usine de transformation de produits marins Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, a aussi fait prendre à son entreprise une expansion considérable entre 1985, quand il a assuré la relève de son père, et maintenant. De 30 employé·es il y a 37 ans, le personnel est passé à 230 cette année.

« Nous étions deux dans les bureaux en 1985. Nous sommes une dizaine maintenant. On a des gens à la comptabilité, aux ressources humaines. Mes enfants, Raphaëlle et Marc-Antoine, sont avec moi », précise M. Lelièvre.

La multiplication des espèces transformées a allongé la saison d’activités et facilité le recrutement. « En augmentant le temps de travail, on apporte de la stabilité, note-t-il. Le secret pour garder les employés heureux ? Ma porte de bureau est toujours ouverte, peu importe l’employé. Pour développer l’esprit d’équipe, on fait des repas, on va voir les employés, on fait des rencontres et on leur dit : “Venez nous voir.” On fait affaire avec une main-d’œuvre vieillissante. Pour la cinquième année, on embauche des travailleurs mexicains. On en a 70 cette année. »

La rétention des Mexicain·es porte aussi un secret. « On travaille beaucoup sur l’aspect familial, explique M. Lelièvre. On compte sur nos travailleurs pour recruter. On embauche à partir des recommandations de nos travailleurs, pas sur celles d’une agence. On est rendu avec des parents d’employés. C’est plus facile pendant leur séjour. On essaie de les rendre heureux. Un travailleur mexicain, c’est comme un travailleur québécois, au même niveau, avec les mêmes avantages et les mêmes services. Pour le logement, on achète des maisons. Il y a deux travailleurs par chambre maximum; quand tu es trop à l’étroit, tu te tapes sur les nerfs, ça va paraître au travail. On leur donne des cours de français, pour qu’ils puissent s’intégrer. On les embauche du 15 avril au 20 décembre, deux semaines de moins pour certains. Ça donne huit mois, huit mois et demi de travail par année et c’est ça qu’ils veulent. »

Une autre solution : faciliter l’adaptation de citoyen·nes au travail

Aux Bergeries du Margot, à Bonaventure, Manon Lelièvre, Leïla Arbour et Sylvain Arbour accomplissent la tâche découlant de leur élevage de 600 brebis. Il y a de la place pour un employé à temps partiel. Ils ont fait appel, en 2021, à un garçon de 15 ans, invisible sous son capuchon de coton ouaté. Il évolue dans une classe d’élèves peu passionnée par l’école.

« Il a fait un premier stage dans le cadre de son cours. Il voulait travailler avec des animaux, il le savait, mentionne Leïla Arbour. Il ne parle pas beaucoup, il ne sera pas au service à la clientèle, mais il a tellement un lien fort avec les animaux ! [...] Il vient faire une journée par semaine, et quatre jours par semaine l’été. Il est dans les tâches qui demandent un contact direct avec les animaux, comme les nourrir, les déplacer, faire le ménage. »

Chez Seabiosis, un transformateur d’algues de mer utilisant une usine à Grande-Rivière, Élisabeth Varennes et Sébastien Brennan-Bergeron ont adapté leur horaire selon la disponibilité des employé·es. En offrant des stagiaires, le Service d’aide aux entreprises de la MRC du Rocher-Percé a solutionné une partie des problèmes de l’entreprise.

« Je considère les employés, je leur demande leur avis, comment on fait l’horaire et si c’est correct de finir à telle heure, explique M. Brennan-Bergeron. On fait des semaines de production de trois jours, pendant cinq semaines. On fait des productions les fins de semaine, vendredi, samedi, dimanche, parce que c’était plus facile de trouver du personnel chez les étudiants, entre autres. On a monté les salaires. [...] On n’a aucun problème à avoir des employés trois jours par semaine. » Seabiosis a aussi créé une banque d’employé·es, qui sont partagé·es avec d’autres petites entreprises.



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