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De la production à la table : ces liens qui nous unissent

19 juillet 2022



De la production à la table : ces liens qui nous unissent

Article rédigé par Audrey Simard

Photos de Roger St-Laurent

Il y a eu cette idée, simple, mais tout de même nouvelle dans l’histoire de Gaspésie Gourmande : celle de créer une rencontre autour de l’achat local entre citoyen·nes, producteur·rices, transformateur·rices et acheteur·euses de la restauration. Évaluer les perceptions, les réalités des uns et des autres. Comme on se parlerait entre membres d’une même famille, autour d’un repas, par une belle soirée de septembre.

Pour cette rencontre, il fallait aussi un cadre propice aux échanges, qui nous plongerait au cœur de la Gaspésie. C’est donc l’Auberge du Camp de base Coin-du-Banc, ses murs empreints d’histoire et ses galets à perte de vue qui ont accueilli nos échanges et notre effervescence.

 

Notre tablée

Nos convives ont été soigneusement sélectionné·es : des hommes, des femmes, Gaspésien·nes de souche ou « néo », de tous les âges et de partout dans la région. Une diversité de visages, de vécus, convergeant vers le même horizon. Celui de l’appartenance à un milieu qui s’incarne dans ce qu’on y fait pousser, dans ce qu’on met dans son assiette, dans ce qu’on sert à sa famille, à ses invités.

Quatre locavores de la région qui jouent le rôle d’ambassadeur·rices gourmand·es1 dans la campagne d’achat local de Gaspésie Gourmande, lancée en avril 2021 :

·       Céline Samuel, coordonnatrice retraitée des services éducatifs, Gaspé

·      Ronald Lenoir, retraité des Forces armées canadiennes, Sainte-Anne-des-Monts

·       Stéphanie Roy, agente à Place aux jeunes Rocher-Percé, Cap-d’Espoir

·       Isabel Arsenault, concessionnaire de la cuisine des Appartements Louisbourg, Bonaventure

Une productrice et un producteur membres de Gaspésie Gourmande :

·       Bertrand Anel, éleveur de bœufs, Ferme Percé Nature, Percé

·       Michèle Poirier, agricultrice et cofondatrice de la Ferme Patasol, Bonaventure

Une aubergiste et restauratrice membre complice de Gaspésie Gourmande :

Pascale Deschamps, copropriétaire, Auberge du Camp de base Coin-du-Banc, Percé

L’animatrice de la rencontre :

Audrey Simard, associée, Papilles développement, Québec

Les multiples formes de l’achat local

Si, pour une organisation telle que Gaspésie Gourmande, achat local rime implicitement avec « produits régionaux », le concept est plus élastique pour les consommateur·rices, qui y voient aussi la préservation des traditions. Au Camp de base Coin-du-Banc, par exemple, il s’agit de préserver un menu qui a fait l’histoire et d’honorer la mémoire de Mamie John à travers les recettes qu’elle a créées pendant ses nombreuses années à l’auberge comme cuisinière.

Isabel à Marc-André à Jean-Luc, notre ambassadrice de Bonaventure, abonde dans le même sens : « Les personnes âgées, c’est les plus locales ! Jeunes, elles ne mangeaient que des produits faits maison. » Isabel, qui travaille pour une résidence privée de personnes âgées, souligne ici le lien entre « local » et « fait maison ». Si les gens se reconnaissent dans un produit ou une recette, que celle-ci est un lieu commun, n’est-elle pas autant gaspésienne qu’un produit élaboré avec des ingrédients locaux, mais n’ayant pas de résonance dans la communauté ? Pour Céline, cette part de culture léguée par sa mère, Mathilde Cotton, à qui l’on doit le livre de recettes Les Mathilderies, fait écho dans son amour de recevoir les siens.

Le mot local prend aussi une forme humaine. Dans une région comme la Gaspésie, les produits ont un visage, une famille. C’est indissociable, et à double tranchant. Nos convives mentionnent au passage qu’il y a certaines personnes de qui ils n’achèteraient pas, même si le produit vient d’ici. Ronald renchérit : « Ce n’est pas seulement la personne, mais la bonne personne. Il faut que le courant passe. » Il mentionne également que le concept de « local » s’est étendu depuis son arrivée en Haute-Gaspésie : « Maintenant, manger local, c’est des produits de toute la région. » L’identité est aussi plus élastique, elle devient gaspésienne.

C’est également pourquoi Michèle Poirier, de Patasol, a mis sa photo et celle de son directeur sur les emballages de pommes de terre. Leur mode de commercialisation les obligeant à disparaître derrière les marques maison, ils tiennent à incarner ce lien humain qui fait tant sens pour les consommateur·rices de la Gaspésie, mais aussi de plus loin. « Le mot lien est très important, fait ressortir Bertrand. Une fois qu’on a acheté un produit directement des mains du producteur, on ne peut pas l’oublier. »

«Granols», les locavores?

Si, encore récemment, les locavores représentaient une niche particulière de la population, voilà maintenant qu’ils se ramifient. Mais ce qui surprend, c’est que, si manger local est une valeur pour tous, ce n’est une religion pour personne. « Je viens d’une famille de foodies, mais ma mère achète quand même du bœuf à l’épicerie. J’adore les mangues et j’en achète aussi », avoue Stéphanie. Elle ne veut pas se priver pour les produits qu’elle aime et qui ne viennent pas d’ici.

La présence même de Bertrand, éleveur de bœufs de pâturage depuis cinq ans dans la MRC du Rocher-Percé, est un signe de l’évolution des mentalités quant aux produits locaux : « Il y a un éveil collectif à la qualité des choses. Une fois qu’ils y ont goûté, les gens comprennent la différence entre mon produit et celui acheté à l’épicerie. Et une fois qu’ils font la démarche d’en acheter, ils ne le voient plus comme un produit de luxe. » « Ça rentre dans le quotidien, ce n’est plus spécial ou fancy », ajoute Stéphanie.

Pour les gens de la Gaspésie?

Manger local est important pour Michèle, mais, en tant que productrice qui exporte ses produits, elle croit qu’il faut aussi donner une valeur à la Gaspésie ailleurs que localement. D’autant plus que la valeur gaspésienne, cette touche saine, préservée, festive et savoureuse, peut facilement trouver écho sur des tablettes urbaines. Et parce que faire vivre les entreprises gaspésiennes ne peut pas encore reposer sur les seules épaules de la clientèle locale.

Nous questionnons Michèle, productrice de pommes de terre depuis 40 ans, sur ce qui a le plus changé, sur sa mesure du temps : « Les gens réagissent encore au prix et à l’apparence des produits, surtout pour un produit générique en épicerie comme les pommes de terre. Malgré tout, on sent la préoccupation pour des produits plus écologiques, mais c’est encore difficile à vendre. » Cela a quand même amené l’entreprise à développer des sites d’expérimentation de pratiques écologiques dans les dernières années.

Une question de choix

Il est unanime, pour nos convives, que manger local est une question de choix plutôt que de moyens. « Les gens ne comprennent pas pourquoi je vais acheter un collier d’agneau qui coûte un certain prix, alors que ces mêmes personnes vont acheter régulièrement pour 50 $ de Dixie Lee », image Isabel. Stéphanie renchérit : « C’est un choix. Moi, je choisis de mettre mon argent dans les voyages et la bonne bouffe. Il y en a qui se paient des gros chars. »

Accessibles?

Avec le temps, à force de réglementation et d’opportunités de marché, certains produits sont devenus plus difficiles à se procurer localement, bien qu’ils existent en abondance en Gaspésie. « Quand j’étais petite, mon père allait directement au quai à Rivière-au-Renard et il achetait du crabe », se rappelle Céline. Si le crabe et le homard sont toujours offerts dans les poissonneries, ce lien direct avec les pêcheur·euses est quasi disparu. C’est vrai aussi en ce qui concerne certaines viandes pour lesquelles l’accès est difficile, voire impossible, en raison de l’éloignement des abattoirs et des frais de transport pour les ramener ensuite.

Foisonnante Gaspésie

Cette rencontre aura été, pour moi, l’occasion de mesurer le chemin parcouru depuis maintenant 15 ans. Ayant été directrice générale de Gaspésie Gourmande de 2005 à 2011, il me suffit d’écouter la tablée pour comprendre et saisir que la Gaspésie n’est plus tout à fait la même, tant dans le portrait de sa population que dans son offre et sa réputation en matière de produits locaux. C’est Stéphanie qui illustrera le mieux mon sentiment : « Si on recule quelques années en arrière, quand on parlait de produits locaux, c’étaient des petits produits de niche qu’on donnait en cadeau ou qui ajoutaient une petite touche aux plats. Aujourd’hui, on parle d’une grande diversité de produits, qui sont au centre de l’assiette et autour, et dans les verres. »

Qu’est-ce qu’on se souhaite, pour l’avenir ? Que manque-t-il ? « Du fromage ! De la volaille ! Du porc ! » Au passage, on mentionne que ça existe, quelque part dans les coulisses des terres gaspésiennes… On se dit alors que de nouvelles perspectives, sous peu, pourraient être à l’origine de nouvelles solutions créatives et innovantes pour l’accessibilité des produits. Et on repart en se demandant si, pour manger local, il faut être aussi un peu rebelle…

 


1. Aude Buévoz, ambassadrice gourmande dans la MRC Avignon, n’était pas disponible pour prendre part au souper.



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